Madagascar est plongée dans une crise politique grave depuis fin 2008, qui a conduit à l'éviction en mars 2009 de Marc Ravalomanana et à son remplacement par son principal opposant et ex-maire d'Antananarivo, Andry Rajoelina, soutenu par l'armée.
17 janvier 2009, début d'une révolte populaire
La journée du 17 janvier 2009 est à marquer d’une pierre dans les annales de l’histoire d’Antananarivo. Ce jour-là, en effet, le Parc d’Ambohijatovo, situé en plein centre-ville, prenait le nom de “Place de la Démocratie”.
C’est la première fois, depuis les « mouvements populaires » de 2002 qui virent l’accession controversée de Marc Ravalomanana à la Présidence de la République, qu’une foule aussi imposante était rassemblée en plein centre de la capitale, pour célébrer un évènement dont la signification politique était visible.
Rappelons brièvement que, depuis la mi-décembre 2008, les évènements qui devaient aboutir à ce rassemblement populaire de grande envergure se sont succédé rapidement.
13 Décembre : fermeture illégale de la Télévision Viva ; motif : diffusion d’une interview de l’ex-Président Ratsiraka qui avait pourtant été diffusée par deux autres télévisions privées, quelques jours auparavant, sans avoir subi aucune sanction. “Télé Viva” appartient au Maire de la capitale.
17 Décembre : le Maire Andry Rajoelina, excédé par les tracasseries et le harcèlement du pouvoir Ravalomanana, depuis son accession à la Mairie d’Antananarivo, se concerte avec les partis politiques, la société civile. Une quarantaine d’entre eux sont présents à la conférence de presse du 17 décembre, au cours de laquelle le Maire exige du Gouvernement le respect des libertés démocratiques (presse, expression, réunions...). Il demande également la réouverture des stations de Radio et Télévisions de la capitale et dans les régions, fermées par le pouvoir depuis 2003, et exige une réponse du pouvoir à ces demandes, jusqu’au 13 janvier.
12 Janvier : le Maire d’Antananarivo et ses collaborateurs organisent un culte œcuménique prévu pour se tenir au Parc d’Ambohijatovo, le Préfet de Police demande que la manifestation se tienne dans une enceinte fermée ; le Maire accepte le compromis et le culte se tient au Stade couvert de Mahamasina, avec la participation de quelque 10.000 fidèles.
16 Janvier : lors de la présentation des vœux du corps diplomatique au Président de la République, le doyen du corps diplomatique insiste sur l’importance du respect de la démocratie dans la recherche du développement et énonce clairement le souhait que soient levées les interdictions de diffusion appliquées à certains médias.
17 Janvier : le Maire d’Antananarivo inaugure officiellement la “Place de la Démocratie” dans le parc d’Ambohijatovo. 45.000 personnes affluent et remplissent le Parc ; ils écoutent avec attention les représentants des notabilités issues des régions qui dénoncent les abus, les vols de terres, les exactions de toutes sortes dont ils sont victimes.
Dans son discours, le Maire Andry Rajoelina fait un compte-rendu de son mandat d’une année à la tête de la Mairie, il dénonce toutes les entraves qu’il a rencontrées durant cette année.
Revendications politiques:
Relevons que dans son discours, le Maire informe ses électeurs des illégalités qu’il a constatées dans la gouvernance du pays et cite en exemple :
le remblaiement illégal des rizières situées dans la partie Ouest de la capitale, qui font partie d’une zone officiellement interdite au remblaiements et aux constructions.
L’achat du deuxième Boeing présidentiel pour un montant de 60 millions de dollars, or, cette dépense ne se trouve inscrite nulle part dans la loi des Finances 2009. Le Maire Andry Rajoelina conclut que ces illégalités doivent être sanctionnées par le retrait de leurs postes respectifs du Ministre des Finances et du Ministre de l’Aménagement du Territoire
Les turbulences qui ont marqué ces dernières semaines ont soulevé de larges échos jusqu’au sein de la diaspora Malagasy à Paris et à Berlin. Un réseau s’est créé pour dénoncer l’accord conclu par le Gouvernement malgache avec la Société sud-coréenne Daewoo pour la concession de 1 million 300.000 hectares de terres arables (pour la plantation de maïs à exporter en Corée) ; ainsi, des centaines de Malgaches ont manifesté devant les Ambassades malgaches à Paris et ils annoncent qu’ils poursuivront leur mouvement, en ajoutant à leurs revendications leur soutien à la lutte du peuple malgache pour la démocratie.
18 Janvier : un groupe d’officiers armés se rend au lieu où est installé l’antenne de la “Télévision Viva” pour informer le personnel présent de la décision du retrait d’autorisation de diffusion de “Télé Viva”, et réquisitionner le matériel, hors la présence requise d’un huissier de justice ou d’un mandat de perquisition.
19 Janvier : Le Ministre de la Communication adresse au directeur de la Radio Viva une injonction : annuler certains de ses programmes qui « tendraient à la désobéissance civile et a ébranler la confiance du public envers les Institutions de la République ». Il s’agit de l’émission “La parole est à vous” très populaire.
Samedi 24 Janvier : les revendications du maire d’Antananarivo qui affirme être « le porte- parole du peuple » sont montée d’un cran. Le premier magistrat de la ville des Mille soulève l’idée d’une transition au moment où il déplace le lieu du rassemblement d’Ambohijatovo à la Place du 13-Mai. Et c’est ce samedi que 25.000 personnes rassemblée sur ce lieu symbolique ont décidé de lancer une grève générale .
Au lendemain de ce discours, Marc Ravalomanana, le président de la République, est rentré précipitamment d’Afrique du Sud.
Des mandats d’arrêt sont lancés contre le maire de Antananarivo et deux autres personnes. Cela ne fera que radicaliser la contestation. Car l’appel à la grève général a été massivement suivi.
Le lundi 26 janvier : le Maire a réaffirmé que la démocratie était en danger dans le pays, et exigeait la démission du Gouvernement. Il précisait alors : « si le peuple souhaite une transition, je suis prêt à en assumer la responsabilité » ; En conclusion, il appelait à lancer à partir de ce jour une grève générale, illimitée.
Une manifestation a évolué rapidement en insurrection populaire dans la capitale, dont l'élément déclencheur est parti du tribunal où trois jeunes devaient être jugés pour avoir participé à un meeting d'Andry Rajoelina.
Le bâtiment de la télévision nationale a été incendié, ainsi que des symboles de l’autorité du président Ravalomanana lui appartenant personnellement : la télévision MBS et les supermarchés Magro. La capitale est livrée au chaos et les scènes de pillage se succèdent.
Le bras de fer entre le maire d’Antananarivo et le président de la République a pris un tournant tragique. Plusieurs bâtiments dont ceux de la RNM et de la TVM ont été incendiés par la foule, de même que les magasins Magro.
Dans les rues, des gens tout souriants semblaient revenir d'un grand déstockage, portant à bout de bras de grands cartons remplis de divers produits comme les cahiers, les pâtes alimentaires, du sel et même des condoms. Les sacs de riz et même des barils d'huile alimentaire sont déposés un peu partout. Ainsi à Behoririka, des élèves sortant des cours se sont rués sur un baril d'huile abandonné par son
« propriétaire » au bord de la route.
Les scènes de pillage ont été plus saisissantes au cœur de la zone industrielle et commerciale d'Ankorondrano. Après s'être acharnés sur Magro, les razzieurs se sont rués vers les produits de luxe des grands magasins Jumbo Score et Courts. Une occasion en or pour les gens issus des bas quartiers de cette zone industrielle d'accéder aux vitrines que beaucoup n’a fait que contempler jusqu'ici.
En file indienne, ils sont rentrés en toute quiétude chez eux avec divers objets transportés à dos d'homme ou dans des brouettes, voire avec les chariots de ces mêmes magasins. Matelas, canapés, ventilateurs, ordinateurs, chaîne hi-fi et tables à repasser faisaient partie du lot.
Incendie des biens et pillage des magasins appartenant au président.
Parmi les groupes qui se ruèrent sur les magasins Tiko pour les dévaliser, on a dénombré onze morts étouffés dans la cohue.
les forces de l’ordre n'ont pas sévi contre ces groupes de bandits pilleurs et casseurs,
Il est indéniable que tous ces faits convergent vers le même but : briser le mouvement de contestation populaire (quel qu’en soit le prix pour les initiateurs) et
mettre à genoux la population d’Antananarivo, « coupable » de soutenir l’engagement patriotique et démocratique du Maire Andry Rajoelina
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Le samedi 31 janvier 2009 : le peuple malgache, à l’instar des quelques 20.000 manifestants rassemblés sur la Place du 13 Mai (Avenue de l’Indépendance), a pris connaissance de la décision du Maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, de prendre en main la direction des affaires du pays, avant la mise en place imminente d’un régime de transition. Retour sur l’évolution de la situation à Antananarivo depuis ce grand meeting avec en perspective cette interrogation : et maintenant ?
Sous les acclamations de la foule, Andry Rajoelina a clamé que le temps de la dictature était révolu et qu’il avait pris cette décision en toute connaissance de cause, face à la situation préoccupante qui prévaut dans le pays.
La veille, 30 janvier, dans une conférence de presse qui a connu une affluence exceptionnelle, Andry Rajoelina avait informé l’opinion de sa décision de mettre en place un régime de transition. Il était entouré à cette occasion des représentants de toutes les forces vives du pays (partis politiques, groupements économiques, syndicats, société civile, etc...) et les conviait à faire connaître leur position, en signant une déclaration commune appuyant sa démarche et le mandatant pour la mener à terme.
Cette transition a été le leitmotiv majeur des revendications exprimées par toute la classe politique malgache depuis 2003, confrontée à des obstacles pour exprimer son point de vue sur la politique menée par le gouvernement.
On comprend ainsi que toutes forces organisées ou non du pays, qui eurent à subir les pressions et intimidations du régime de Marc Ravalomanana, se sont engagées aux côtés de Andry Rajoelina.
Cette unanimité s’est réalisée autour d’un seul thème, “Démocratie”, signifiant démocratie politique, démocratie économique et démocratie sociale.
Durant près de trois décennies, les changements de régime sont survenus à Madagascar après des évènements similaires à ceux de 2008, créant à chaque fois une situation exceptionnelle, qui exigeait des solutions exceptionnelles.
Ce fut le cas en 1972, en 1975, en 1991, en 2002.
Suite aux événements, le Secrétaire général des Nations Unies, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, le Secrétaire général de l’Union Africaine, parlant d’une même voix, ont appelé les protagonistes à se rencontrer, afin de trouver ensemble une issue pacifique à la crise.
Ces déclarations soulignaient par ailleurs le respect de la « légalité constitutionnelle ».
Répondant aux critiques de la « communauté internationale », les partisans de Andry Rajoelina déclarèrent au grand jour, le 31 janvier, avec preuves à l’appui, que Marc Ravalomanana, tout au long de son mandat, avait perpétré des actes illégaux, et foulé aux pieds la Constitution, tant dans son préambule que dans ses articles.
Or, la « communauté internationale », qui ne pouvait ignorer ces illégalités commises par Marc Ravalomanana, a fermé les yeux, l’encourageant même indirectement.
Pourquoi aujourd’hui parler de « légalité constitutionnelle » lorsque le peuple malgache se lève pour arracher ses droits à vivre dans le respect des libertés démocratiques ?
Les manifestations se succèdent
Lors de la manifestation du samedi 31 janvier à Antananarivo, avant que ne commencent les discours, un commando transporté par quatre véhicules est entré en force sur la tribune pour ôter de l’estrade les sièges et la sonorisation en cours d’installation. Lapidé et poursuivi par la foule en colère, le commando a du s’enfuir. Les forces armées alertées informèrent Andry Rajoelina que ce commando n’avait été envoyé ni par l’armée, ni par la gendarmerie, ni par la police. Ces responsables devaient déclarer sans ambages que le commanditaire de cette action était le Général Raoelina, chef de la garde présidentielle.
Ce même officier est soupçonné de mettre en place des “milices” recrutées dans les quartiers déshérités de la capitale (moyennant argent).
Le Samedi 7 février 2009
le peuple décide de prendre le palais Présidentiel d'Ambohitsorotra.
Une foule nombreuse se dirige vers le palais
La marche sur le palais présidentiel s'est terminé par un carnage,
les forces rapprochées du président Ravalomanana ont tiré sans sommations sur la foule.
Bilan, 50 morts et plus de 200 blessés.
Samedi 7 02 09, après le meeting tenu sur la place du 13 mai, des milliers de personnes se sont rendues devant le palais présidentiel.
Avant d’entrer dans le Palais, le Général Dolin Rasolosoa et quelques parlementaires furent mandatés pour négocier avec les militaires de la garde présidentielle chargés de la protection du Palais ; après conciliabules, il s’avérait que les militaires refusaient au Premier ministre Roindefo l’accès du Palais. La délégation rejoignit la foule, et c’est à ce moment qu’éclatèrent les coups de feu venus du Palais. Tous les observateurs, malgaches et étrangers, ont noté qu’il n’y eut aucune sommation (tir en l’air suivi de jets de grenades lacrymogènes ou de jets d’eau) pour disperser la foule.
Par ailleurs, cette foule ne portait aucune arme et ne proférait pas de menaces. En quelques minutes, on dénombrait cinquante morts et plus d’une centaine de blessés. Les corps des victimes portaient les traces d’impact de balles sur le front, le cou, le dos, provenant d’armes de guerre. Il s’est avéré que la garde présidentielle comptait dans ses rangs des « mercenaires » étrangers recrutés en Afrique du Sud.
Toute la journée du dimanche, la population et les autorités de la transition furent occupées à porter secours aux blessés, s’occuper des morts et de leurs familles, qui furent l’objet d’un grand élan de solidarité. Une foule compacte se rendit au Gymnase couvert de Mahamasina, où étaient exposés les corps des victimes, afin de rendre un hommage mérité à ces compatriotes de tous âges, victimes de leur engagement dans la lutte pour le respect de la Démocratie. Un photographe de la station RTA et une journaliste de RFI sont tombés sous les balles des tueurs ; Le lundi fut proclamé « jour de deuil national ».
Les policiers et les militaires pour se démarquer de la garde raproché de Ravalomanana qui à organisée la tuerie ont porté un brassard blanc pour sinifier que eux: ne tirerons pas sur la foule.
De son côté, la Communauté internationale, plus précisément la Banque Mondiale, le FMI, l’Union Européenne, informaient la presse qu’elle gelait l’aide qu’elle avait prévue pour Madagascar fin décembre. Ces bailleurs de fonds expliquaient leur décision par l’absence totale de transparence dans la gestion des finances publiques par Ravalomanana et son équipe : Les médias citaient en exemple l’achat du fameux “Air-Force 2” pour un montant de 60 millions de dollars, et offert en « cadeau » par une société sud-coréenne, en contre-partieRavalomanana (ce dernier avait ordonné que ces conteneurs de bois de rose soient entreposés dans la Cour du Palais d’Ambohitsorohitra d’où ils disparurent pour être acheminés au Port de Toamasina), les détaxations et autres réformes fiscales entourant l’importation des produits pour la fabrication de l’huile Tiko, etc…
Ces bailleurs de fonds avaient d’ailleurs demandé des explications aux de la dotation de 1 million 300.000 hectares de terres arables appartenant aux paysans malgaches, la disparition inexpliquée de plusieurs conteneurs de bois de rose confisqués indûment à leurs propriétaires dans la région de la Sava et remis gracieusement au fils de Marc Ravalomanana, sans avoir reçu de réponse convaincante jusqu’à ce jour. De manière très diplomatique, ils dénonçaient l’amalgame entre l’utilisation de l’argent de l’État et celui de l’empire Tiko, et appelaient les uns et les autres à prêter une oreille attentive aux doléances de la population.
Tiko : “L’empire Ravalomanana”
Le déclanchement de cette crise a favorisé au sein de l’opinion une large connaissance de la situation économique et de l’influence grandissante des intérêts du Groupe Tiko de Marc Ravalomanana dans les affaires du pays.
Entre 1996 et 2001, Tiko avait bénéficié des “faveurs” du pouvoir en place à l’époque, qui lui accordèrent une exonération de taxes à l’importation de produits Tiko, pour un montant de 150 milliards d’ariary.
Dès son arrivée au pouvoir, Tiko fait main basse sur les sociétés d’Etat, “privatisées” sur injonction de la Banque Mondiale et du FMI (SOMACODIS, SINPA, SICE.
Depuis, l’empire Ravalomanana s’est agrandi, et ses tentacules se sont déployées dans plus d’une vingtaine de sociétés (connues), par exemple : Magro (grossiste de PPN), TIKO AGRI (collecte de matières premières) TIA et MANA (produits laitiers-farine), TIKO FARM (élevage et dérivés), ALMA - COM (BTP et bureau d’études), FID MILL (alimentation du bétail).
Tiko est présent dans l’audiovisuel (MBS-Radio Mada, Nouvelles). Outre l’utilisation de biens meubles et immeubles de l’Etat (bâtiments, sites, Port de Toamasina), sans contrepartie financière, Tiko n’a jamais eu l’intention de rembourser à l’État les 150 milliards évoqués plus haut. Il est à noter qu’en tant que Président de la République, Marc Ravalomanana a décidé la détaxation à l’importation de quelque 300 articles, intéressant de près ou de loin les activités du groupe Tiko.
Le scandale récent de la vente des 1 million 300.000 hectares de terres arables à Daewoo, la vente de deux îles Nosy Mitsio (Nosy-Be) et Nosy HaraMajunga) à des investisseurs étrangers, tout cela dans des conditions obscures, suscitent de la part d’une population très pauvre les plus grandes interrogations.
A suivre...